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LE DEFI LECTURE
Jean-Jacques Maga
Formateur de l'Académie de Rouen.
PRÉSENTATION
 
Avertissement

Cette présentation rapide du Défi-lecture, pour complète qu'elle soit, ne saurait suffire à qui souhaiterait mettre en place cette action. Nous invitons les collègues intéressés à se reporter à notre ouvrage consacré à ce projet d'incitation et de formation à la lecture-écriture : Le Défi-lecture, Chronique sociale, Lyon, 1994, 3e édition.
Rappelons que le Défi-lecture décrit ci-dessous repose sur une longue expérience dont les derniers développements ont donné naissance à la troisième édition du JAC - pour Jeu Académique - qui a rassemblé au cours de l'année 1993-94, quelque 2 200 classes (60000 élèves), réparties sur la totalité du cursus scolaire, de la maternelle au lycée.

I. LE DEFI LECTURE EN DEUX MOTS

Le défi amical que se lancent les "partenaires adversaires" comporte quatre volets.

Le défi des lectures

Au sein d'une classe, les élèves lancent à leurs "adversaires" extérieurs le défi de lire aussi précisément et complètement qu'ils le peuvent une liste d'ouvrages de littérature jeunesse. Cette liste est commune aux deux partenaires.

Le tournoi des questionnaires

Ces lectures volontaires donnent lieu à des questions regroupées en questionnaires. Ces questionnaires sont conçus par les élèves d'une classe et envoyés aux adversaires associés, à charge pour eux d'y répondre. Ces réponses sont retournées et évaluées par les auteurs des questionnaires. Ces échanges s'étalent sur l'année scolaire.

Les joutes littéraires

Ce volet d'activités prévoit que les élèves produisent des textes à vocation littéraire -essentiellement des récits- à partir de contraintes d'écriture inspirées de la pratique des ateliers d'écriture. Ces contraintes mettent en cause les oeuvres composant la liste et constituent les germes d'une énigme. Les élèves de chaque classe choisissent et réécrivent les textes qui la représenteront. Ils sont adressés aux classes partenaires qui s'attachent à lever l'énigme qu'ils renferment et qu'une manipulation des oeuvres de la liste permet de déjouer.

Le tournoi des Jeux collectifs

Les élèves se lancent en troisième lieu le défi de gagner à des jeux de lecture dénommés Jeux collectifs de lecture, conçus et élaborés par eux. Ce tournoi des jeux collectifs se tient en fin d'année où les élèves sont rassemblés en un même lieu. C'est la rencontre finale, apogée d'un Défi-lecture.

II. PRINCIPES FONDATEURS D'UN DÉFI
 
Premier principe : motiver les élèves par le seul biais du volontariat : pas de contraintes, pas de sanctions, mais tissage d'un réseau de sollicitations, d'incitations, qui enveloppe les élèves et particulièrement les non-lecteurs, et les amène à la lecture.

Deuxième principe : construire un projet de classe socialisé et finalisé, qui laisse une large part d'initiative aux élèves. Ils sont collectivement moteurs du projet parce que créateurs des questionnaires, des jeux collectifs et des écrits littéraires. Les activités de lecture et d'écriture sont finalisées pour un but, le but du jeu.

Troisième principe : s'appuyer sur la médiation du groupe classe et des adultes co-animateurs du projet pour inciter à la lecture et à l'écriture, et faciliter l'accès à l'écrit.

Quatrième principe : utiliser le jeu comme médiateur de la lecture, de l'écriture et des apprentissages en général.

Cinquième principe: associer indissolublement lecture et écriture comme moteur de l'action : lire pour écrire, écrire pour lire.

III. LES COMPOSANTES D'UN DEFI

1. Les partenaires

Objectif : faire émerger chez les élèves des représentations positives de l'écrit. Il est pour cela nécessaire de développer de nouvelles pratiques de l'écrit qui témoignent que la lecture et les productions des élèves intéressent la communauté scolaire, sociale et culturelle dans laquelle baigne l'établissement.

Les élèves

Plusieurs types d'animation sont possibles,
- Deux classes, d'un même établissement ou de deux établissements différents.
-Toutes les classes d'un même niveau d'enseignement.
-Deux établissements géographiquement proches (ou au contraire éloignés) d'un même niveau d'enseignement, ou de niveaux différents : par exemple, sixièmes contre CM des écoles du secteur d'un collège.

Les animateurs

- Une équipe d'enseignants : instituteurs, professeurs de français et d'autres disciplines, documentalistes, administration.
- Des professionnels du livre : libraires, bibliothécaires, auteurs.
- Des Parents d'élèves appelés à assurer la préparation des lectures.
- Des élus municipaux, régionaux.
- La presse.

En tout état de cause, les meilleurs bénéfices sont attendus d'un défi qui associe des partenaires extérieurs.

2. Une liste d'ouvrages

Objectif : permettre de satisfaire l'hétérogénéité des goûts et des compétences de lecture des élèves d'une classe sur la durée d'une année scolaire.

Trois adjectifs pour qualifier la liste :

- étoffée : 25-35 ouvrages.
- éclectique : documentaires, romans, poésies, albums, théâtre), des thèmes abordés (mais thèmes forts), des tons, des styles, des époques, des éditeurs, des auteurs.
-hétérogène quant au niveau des compétences de lecture (Ouvrages faciles/difficiles, illustrés ou pas, minces ou épais, à la typographie serrée ou aérée).
3. Les questionnaires

Objectif : créer un enjeu de lecture pour motiver à lire, tout en développant des compétences de lecture et d'écriture dans le cadre d'une activité fonctionnelle, finalisée et socialisée.

Définition :
Un questionnaire rassemble et organise (voir annexes) des questions sur un livre désigné (questions fermées). Ce sont des "colles à lire" qui prennent appui sur les ouvrages de la liste dont elles essaient d'approfondir la compréhension.

Nature des questions :
-Questions de tête posées sur le modèle de la phrase
interrogative (elles portent sur la compréhension-interprétation et les structures narratives d'un roman ou sur le fonctionnement d'un documentaire et la compréhension des informations qu'il véhicule).

- Questions énigmes posées sur le modèle d'une consigne-jeu (charades, mots croisés, dessins, messages codés, intrus, appariements, puzzles, anomalies, etc.).

- Questions énigmes posées sur le modèle de certains écrits sociaux (portraits, télégrammes, petites annonces, cartes d'identité, faits divers).

Les échanges

Ces questionnaires débouchent sur des échanges entre classes selon le schéma : collecte des questions - mise en questionnaires - envoi (environ 2 ou 3 dans l'année) - réponse aux questionnaires - corrections - évaluation - bilan final, où l'on calcule le pourcentage des bonnes réponses par rapport au nombre de questions posées pour désignation d'un gagnant de ce tournoi des questionnaires.

Les apprentissages

Le traitement des questionnaires, et plus encore leur élaboration, nécessitent des séquences d'enseignement-apprentissage qui visent à ce que les élèves parviennent à acquérir les compétences de lecture et d'écriture minimales, les rendant aptes à dominer la pratique du questionnement des oeuvres.

4. Jeux collectifs de lecture

Objectifs :
Créer un nouvel enjeu de lecture et relancer la motivation à lire.
Développer des compétences de lecture appliquée à une oeuvre complète, et des compétences d'écriture propres aux écrits explicatifs-injonctifs.

- Ils interviennent aux deux tiers de l'année.
- Ils sont dérivés d'un jeu de société, mais adaptés aux finalités d'un jeu de lecture.
- Ils sont conçus et élaborés par les élèves (règles de jeu, plan de jeu, matériel).
- Ils se jouent en équipes au cours de la rencontre finale.

Exemple : le Jeu de l'Oie.
A l'instar du jeu traditionnel, il est composé d'un plan de jeu de 63 cases où figurent le héros d'un roman d'oie, ses ennemis et ses aides, leurs attributs, les lieux qu'ils fréquentent : les actions qu'ils accomplissent, les objets qu'ils manipulent, etc.
Ce type de jeu suppose une analyse fine et synthétique du récit, renforcée par la confection du matériel nécessaire au jeu, notamment les questions auxquelles les joueurs doivent répondre lorsqu'ils tombent sur une case.

5. Les protocoles d'écriture

Objectif : aborder l'écriture, non plus comme dans les questionnaires ou les Jeux collectifs sous un angle fonctionnel, mais dans une perspective esthétique, tout en exploitant la veine ludique et la socialisation des écrits. La nature des écrits sollicités, les démarches d'écriture préconisées et la circulation des textes produits visent à éveiller la conscience esthétique des élèves en matière d'écriture.

Enjeu : Produire des textes à vocation littéraire, qui mobilisent les oeuvres de la liste, de telle sorte que les rédacteurs des textes et leurs destinataires des classes associées dans le Défi manipulent les ouvrages. C'est l'une des multiples facettes de la liaison pratiques de lecture, pratiques d'écritures.

Démarches : Tous les élèves d'une classe sont invités à produire un texte à partir d'une contrainte d'écriture donnée, appelée "protocole". Chaque élève rédige son texte sur la base d'un protocole commun. La classe débat de la qualité des textes produits, et choisit un ou plusieurs textes que les élèves réécrivent, avec l'accord de leur auteur, en fonction des pistes de réécriture dégagées par les élèves et l'enseignant.

6. Rencontre finale

Objectif : Constituer le pôle d'attraction de toutes les activités menées en cours d'année. Instituer une fête de la lecture qui valorise et marque les élèves.

Elle se déroule en fin d'année scolaire et rassemble en un même lieu tous les partenaires. Les élèves répartis en équipes se confrontent dans le tournoi des jeux collectifs. Ce tournoi désigne un deuxième vainqueur du Défi-lecture. Les lauréats des joutes littéraires peuvent à cette occasion être valorisés.

IV. LIGNES DE FORCE

1. Le partenariat

Le défi vise une mise en synergie des acteurs d'une politique locale de l'écrit : élèves, enseignants, parents, bibliothécaires, libraires, I.E.N., chefs d'établissement, élus municipaux, conseillers généraux, auteurs.

2. La médiation de l'adulte

L'adulte, qui n'est pas que l'enseignant, est le lecteur des livres de la liste, voire producteur de textes, conseiller, facilitateur, et incitateur, quel qu'il soit, en fonction de son statut professionnel ou social.

3. La médiation du jeu

La lecture a souffert d'un processus de scolarisation : lecture expliquée, suivie, dirigée, fiches de lecture. Le jeu a pour fonction de redonner à la lecture sa dimension de plaisir. Il permet aussi, dans la gratuité, de confronter l'élève à l'exercice de la capacité de lire et d'écrire. Il renforce par là les compétences de l'élève, et justifie les apprentissages structurés que l'enseignant propose, en complément, dans les marges du jeu.

4. La médiation sociale

La lecture et l'écriture ont besoin d'être l'objet d'un enjeu social d'échange pour devenir un acte individuel. Lire et écrire, c'est communiquer : il s'agit de le révéler à certains élèves au travers de multiples dispositions, autant spontanées (échanges d'impressions fugaces) que structurées (rédactions et envoie de questionnaires, production et réception des écrits littéraires).
5.Le défi : vecteur d'apprentissages

Trois modalités d'apprentissage :

- un apprentissage mutuel entre pairs pour familiariser avec l'écrit, confronter les représentations qu'il sécrète, et développer un savoir-être de Défi-lecture est un projet collectif qui se déploie au sein de l'école.

- un apprentissage autonome : dans le cadre du projet lui-même, quand les élèves créent par exemple des questionnaires ou y répondent, ils accroissent implicitement leurs compétences de lecture et d'écriture dans le cadre d'une communication vraie.

- un apprentissage guidé par l'enseignant : à la périphérie du projet, dans ses marges, l'enseignant peut mettre en place un enseignement de la lecture et de l'écriture apte à renforcer les compétences nécessaires à l'élève dans les activités de lecture autonome, ou de production écrite.

6. Lire-écrire en Défi : une activité interactive

- Les lectures, objets d'échanges quotidiens au sein de la classe, avec le concours de certains adultes, débouchent sur des écrits.

- Ces écrits circulent, sont commentés et sont adressés à des destinataires qui y répondent après avoir été entraînés à des lectures et des relectures diverses.

V. BILAN

- Quantitatif : 8-12 ouvrages lus en moyenne par classe et par année.

- Qualitatif : le Défi entraîne imperceptiblement les non-lecteurs insidieusement à se livrer à des activités de lecture et d'écriture : ceux-ci font l'expérience de lectures et de pratiques d'écriture qui font plaisir et ils se prennent au jeu.

Trois dérives à éviter :

- le Défi gadget : il consisterait à privilégier la dimension ludique sans porter attention à la construction des apprentissages qui justifient en dernier ressort l'action comme projet de formation, ou bien, surdéterminé par l'objectif d'incitation à la pratique de l'écrit, le Défi créerait l'illusion chez le lecteur-joueur que la lecture et l'écriture n'existent que dans le jeu, alors que l'objectif est d'installer le goût de lire et d'écrire, au-delà de l'activité-jeu, et par delà le travail de lecture et d'écriture.

- le Défi récupérateur : l'enseignant, dans ce cas, prendrait prétexte du Défi-lecture et, se jouant de la motivation (temporaire) des élèves, développerait son programme de formation, plaqué sur les activités du projet Défi.

- le Défi compétition : dans cette dérive, l'enseignant exacerberait chez les élèves leur volonté de domination de l'adversaire. Dans ce cas, le Défi n'est plus un jeu, mais un combat qui, au lieu d'instaurer dans la classe un climat d'entraide et de tolérance, assujettirait tous les joueurs à l'obtention de la victoire.

DÉBAT AVEC JEAN-JACQUES MAGA

Que faut-il véritablement entendre par "Non-lecteur"?

Le Non-lecteur est celui qui ne manifeste pas d'appétence pour la lecture et non celui qui ne posséderait pas les compétences pour la lecture dans le cadre du défi. On n'a pas encore repéré à l'école primaire des pratiques visant à atteindre un objectif de "maîtrise d'oeuvre intégrale". Il faut s'interroger aujourd'hui sur la nécessité de mettre en place des actions visant à développer cette maîtrise dès le primaire.

Peut-on avoir quelques précisions sur les conditions de production des questionnaires?

Il est à préciser que cette pratique même du questionnaire visé d'abord à l'apprentissage de la lecture d'une oeuvre intégrale et qu'elle n'est plus un simple moyen d'incitation à la lecture.

C'est en lisant que l'on apprend à lire, et si nombre des pratiques induites par le défi lecture participent des apprentissages, on ne peut cependant pas en attendre qu'elles résolvent des problèmes d'apprentissages fondamentaux,

Il est indispensable que ces questionnaires soient produits pour les élèves par les élèves eux-mêmes. On peut alors s'amuser à élaborer un questionnaire, à rechercher une présentation attrayante voire conviviale par l'introduction d'illustrations, par la recherche d'une certaine complicité avec celui qui doit répondre.
Signalons que les questionnaires s'orientent en définitive selon deux types de questions:

- des questions de compréhension du domaine de la donnée objective induisant une réponse attendue.

- des questions interprétatives du domaine de la donnée subjective apportant des réponses multiples et diverses.

Le questionnaire semble une bonne réponse à cette dualité d'apprentissage du lire-écrire si, bien sûr, l'on veut prendre la peine de prévoir des séquences d'apprentissage visant à acquérir la technique de création de questionnaires.

Il faut insister enfin sur le coté bénéfique du questionnaire et des autres pratiques introduites par le défi-lecture qui permettent d'observer les pratiques effectives des élèves et de résoudre tant les problèmes des élèves que des enseignants face à l'hétérogénéité d'un groupe classe.

A t-on évalué les effets du défi lecture?

Il n'existe pas d'évaluation officielle du défi-lecture, de ses effets ni au niveau de l'Education Nationale, ni même par les acteurs originels du défi; principalement par manque de temps pour se consacrer à cette évaluation.

Seules aujourd'hui quelques statistiques permettent de connaître le nombre de livres lus par les enfants lors d'un défi lecture et les attitudes les plus courantes constatées au niveau des modifications du comportement de lecteur.

Quoi qu'il en soit, personne ne s'est encore attelé à un véritable évaluation scientifique de ces animations et de leurs effets directs ou indirects sur les élèves.

Quels écarts a t-on pu constater entre les pratiques du défi et le dispositif préconisé ?

On a pu constater trois dérives principales aux objectifs initiaux que se fixe tout défi lecture :

a) le défi-gadget qui exacerbe la dimension ludique. Le défi est alors appréhendé comme capable de procurer un plaisir immédiat. A force d'accumuler les situations de jeu, les élèves s'en détournent parce qu'ils ont l'impression de ne plus rien apprendre.
b) le défi-récupérateur qui met en avant une dimension formatrice.
Cette tendance oublie totalement la dimension ludique et résume le défi à un simple outil d'apprentissage en réinjectant, en permanence, des méthodes traditionnelles.

c) le défi-compétition, lui, totalement contraire au fondement même de l'enseignement mutuel dont relève le vrai défi, met en avant l'excellence des uns par rapport aux autres sans tenir compte de la valeur de l'autre. On est alors plus sur le terrain du conflit que de l'entraide.

Pour finir, on signalera une nouvelle dérive à la mode assez répandue que l'on qualifiera de défi-simpliste. Une réduction à l'économie des méthodes, du nombre de livres, du nombre de jeux fait perdre tout son sens au défi. On ne soulignera jamais assez la nécessité de diversifier au maximum les entrées du défi-lecture.
Synthèse établie par Alain GINET

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